giovedì 25 febbraio 2010

L'esprit du Phare

L'esprit du Phare

Les côtes bretonnes sont ourlées d'un semis d'écueils, plus particulièrement dangereux dans certainssecteurs, comme ceux de Sein et de Ouessant.

Au XIXème siècle, les hommes construisirent des dizaines de phares au prix d'une lutte acharnée avec l'océan. Ainsi il fallut 14 ans (1867-1881) pour bâtir celui d'Ar-Men. La vie des gardiens de phares sur les "feux isolés" était souvent difficile : ils veillaient par équipes de deux ; tous les quinze jours, le bateau "baliseur" des Phares et Balises amenait l'équipe de relève et les provisions à condition que l'état de la mer permettait d'accoster. Dans le cas contraire, les gardiens pouvaient être coupés du monde pendant plus d'un moi. Aussi, de nombreuses histoires d'angoisse et d'épouvante sont nées
J'étais alors seul et unique gardien au phare de Tévennec. Vous connaissez ce rocher - un caillou juste assez grand pour recevoir la tour de feu qu'on a bâtie dessus.

La vie que j'y menais n'était pas précisément folâtre. Pas d'autre visite que celle du Ravitailleur qui, tous les huit jours, si la mer n'était pas trop mauvaise, abordait un instant mon récif, déposait sur l'étroite plate - forme de l'huile pour le fanal et des provisions de bouche pour moi, puis filait vers Sein ou vers Ouessant. La conversation était brève :
- Ohé, Porzmoguer!
- Ohé, patron!
- Tout va?
- Tout va.
- Alors, à la prochaine!
- A la prochaine!

Et je rentrais dans ma prison où je n'entendais plus d'autre bruit que le mugissement des vagues, le ronflement du vent et les cris variés des oiseaux de passage qui venaient parfois, la nuit, s'écraser contre les vitres éclairées de la lanterne...Si pourtant! il m'arrivait aussi, par moments, de percevoir dans l'intérieur même du phare des sons singuliers, propres à penser que je n'était pas, autant que je le supposais, le seul habitant du lieu : c'était tantôt des pas au - dessus de ma tête, sur le plafond de la chambre que j'occupais pendant le jour, tantôt le frôlement de quelqu'un d'invisible, dans l'ombre de l'escalier, lorsque je montais allumer le feu, tantôt un appel brusque qui me faisait sursauter, en m'apostrophant par un nom de baptême :
- Henri!...Eh! Henri!...
Dans les premiers temps, en m'entendant héler de la sorte, je répondais :
- Quoi? Qu'est-ce que c'est?
Et je descendais quatre à quatre les marches pour aller voir, au seuil de la tour, si ce n'était pas quelque pêcheur de ma connaissance qui, passant à portée, par hasard, souhaitait d'échanger avec moi un mot ou deux. Mais j'avais beau regarder à droite et à gauche, toujours les abords de la roche étaient vides. Si bien qu'à la longue j'avais pris le parti de ne plus prêter d'attention à ces appels ni aux autres bruits étranges dont j'avais été un peu troublé au début et qui, maintenant, me faisaient, pour ainsi dire, compagnie dans ma solitude.

Né et élevé à l'île de Sein, je n'était pas, vous vous en doutez, sans savoir les récits lugubres qui couraient sur Tévennec. Du plus loin que je me souvienne, cette pierre à naufrages a été considéré comme un endroit hanté par les morts de la mer. Avant qu'on l'eût surmontée d'un phare, ils s'y agrippaient, prétendait - on, aussi nombreux que des cormorans à leur rocher de prédilection. Mais, par exemple, une chose qui n'était pas niable, attendu qu'elle était arrivée au vu et au sud'un chacun dans ces parages, c'est qu'un navire de nationalité inconnue ayant sombré, durant les tempêtes marins, le seul survivant, avait réussi à s'y réfugier et, pendant quatre jours et quatre nuits, avait crié : à l'aide! sans qu'il fût malheureusement possible de se porter à son secours, soit de l'Île, soit de la Grande Terre. Il périt là, d'angoisse, de froid, et de faim. Quand l'état de la mer permit d'accoster la roche, son cadavre avait disparu, mais en laissant dans un des creux de la pierre une large tache de couleur de sang qui depuis, ne s'est jamais effacée. Son Anaon (l'âme du mort quand elle erre encore sur la terre) continua de hanter la place où il était mort et, après la construction du phare, le sentiment général fut que l'on y avait enfermé son Esprit.

J'essayai de me persuader que c'était cet Esprit à qui je devais attribuer les bruits en question et, du moment que sa présence n'était pas autrement nuisible, je m'appliquai à faire semblant de l'ignorer, poussant même la discrétion jusqu'à n'en point parler aux miens, lorsque j'étais de congé à terre.

Nous faisions ainsi fort bon ménage, lui et moi, quand au retour d'une de ces relèves, un cousin à ma femme s'offrit de m'accompagner au phare pour y passer une huitaine. Les règlements, à l'époque, n'étaient pas aussi stricts qu'aujourd'hui. J'emmenai ledit cousin -un nommé Cléden Guilcher, de Plogoff-, et nous nous installâmes tous les deux dans ma chambre, décidés à tuer ensemble le temps aussi gaillardement qu'il serait en notre pouvoir. Pendant trois jours, les choses marchèrent le mieux du monde. Mais, sur la fin de la troisième journée, comme nous étions en train, après le repas du soir, de déguster un excellent café, voilà que, tout à coup, à l'étage d'en dessus, l'Esprit commence à faire des siennes. Et il ne se contentait plus, cette fois, de marteler le plancher avec ses bottes : il devait, en outre, charpenter on ne savait quoi, car on l'entendait qui maniait à tour de rôle la scie et le sabot. Cléden Guilcher écoutait, tout ahuri.
- Qu'est - ce que c'est que ça? demanda t - il enfin, quand il fut revenu de son premier saisissement.
- Oh! fis - je, ne sois pas étonné. C'est déjà gentil de sa part qu'il se soit tenu tranquille jusqu'à présent.
- Qui, il?
- Quelqu'un qui me connaît, apparemment, car il m'appelle souvent par mon nom. Mais, pour ce qui est du sien, il ne me l'a jamais confié.
- Et il a l'habitude de se livrer à ce boucan?
- Presque toutes les nuits.
- Drôle de corps, en vérité.
- J'ai l'idée que c'est plutôt un Esprit.
- Brr! Tu me glaces les os.
- Eh bien! réchauffe - toi avec ce pousse - café.

Je lui versai une ample rasade d'eau -de - vie. Cela lui redonna du coeur. Il tenta de plaisanter et, comme le bruit augmentait là - haut, il me dit, riant d'un rire un peu narquois :
- Tu ne sais pas? A ta place, moi, j'inviterais ce particulier à descendre trinquer avec nous. Comme cela, du moins, il nous ficherait la paix, et puis, peur - être qu'il nous révèlerait son histoire, quand un bon coup de "schnick" lui aurait délié la langue.

Le cousin avait à peine terminé sa phrase que l'Esprit aussi faisait soudain silence.

Seul, vous concevez bien que je n'eusse jamais eu l'idée d'une pareille démarche, et, en tout cas, je n'aurais jamais eu l'audace sacrilège de la mettre à exécution. Mais le cousin était là : je ne voulais pas qu'il pût croire que j'avais peur et, sans plus réfléchir, je me précipitai dans l'escalier.

L'escalier où se produisait ordinairement le sabbat était celui que se réservait l'ingénieur des ponts et chaussées, lorsqu'il venait au phare en tournée d'inspection; J'en avais la clef à mon trousseau : je l'introduisis dans la serrure et, la porte ouverte, m'avançai d'un pas ou deux dans les ténèbres se la pièce qui était noire comme une tombe. Rien n'y remuait. Dès l'entrée, néanmoins, j'avais senti sur ma face un souffle humide, imprégné d'une fade odeur de mort, qui m'avait donné froid jusque dans les moelles. Je dus affermir ma voix pour articuler d'un ton assez net :

- Qui que vous soyer, montrez - vous et faites à deux chrétiens, qui vous invitent, le plaisir de descendre boire un verre avec eux.
- Bravo! cria d'en bas Cléden Guilcher.

Quant à la réponse de l'Esprit, ne me demandez pas quelle elle fut, ni même s'il en fit une, car, au moment où j'achevais de prononcer la dernière syllabe, je reçus en pleine poitrine un tel choc que je m'abattis comme foudroyé sur le carreau. Et de ce qui se passa ensuite je n'eus plus aucune conscience. Je sais seulement qu'il était plus de minuit lorsque je recouvrai mes sens et que j'étais moulu par tous les membres, comme si j'avais été roué de coups pendant deux heures. Revenu à moi, je ma ramassai de mon mieux, mais sans pouvoir appuyer sur mes jambes, tant elles étaient rompues, et ce fut à quatre pattes et à reculons que je dévalai vers ma chambre. La lampe y agonisait sur la table; je cherchai des yeux le cousin ; il ne rstait de lui d'autre trace que son verre qu'il avait oublié de vider - une chose, entre parenthèses, qui n'était guère dans ses habitudes -. Je l'appelai à cinq ou six reprises, non sans anxiété.

- Holà, Cléden!...Cléden Guilcher!...Pour l'amour de Dieu, où es - tu?

Une tête ébouriffée, baignée encore de sueur d'épouvante, sortit enfin de dessous le lit et, l'instant d'après, le cousin tout entier réapparaissait à ma vue.
- Il ne t'a donc pas réduit en bouillie? demanda - t - il en respirant avec force.
- Pas tout à fait, mais quasi. Tu l'as entendu s'exercer sur moi?

- Il aurait fallu être un triple sourd pour ne pas entendre : c'était comme une batterie de vingt fléaux tombant sans discontinuer sur l'aire. La tour en tremblait jusque dans ses fondations : j'ai cru qu'elle allait s'écrouler sur moi, et c'est dans l'attente de la minute suprême, pour ne pas voir venir la mort, que je me suis fourré sous le lit.
- Eh bien! à cette heure, fourrons - nous dedans, grommelai - je. Je n'en puis plus.

Le lendemain, je m'étonnai de na pas me réveiller avec des cheveux blancs, et, quinze jours plus tard, j'avais donné ma démission. L'Esprit de Tévennec m'avait dégoûté pour jamais du métier de gardien de phare.

 


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